La case de la ravine bassins
Photo : La case de la « ravine bassins », vue du côté du chemin de terre, aujourd’hui bétonné, avec une entrée qui n’existait pas à l’époque. Elle est toujours habitée, résiste à tous les temps. Dire qu’il y a quarante ans je la voyais déjà bien fragile, et pourtant elle est toujours là.
J’allais vivre là, au bord de la ravine, mon enfance et mon adolescence, dans cette maison entourée de bardeaux attaqués par le temps et les intempéries, au toit de tôle ondulée peinte d’un rouge-brun mais déjà terni. C’était une petite maison pour une grande famille.
On y accédait par un ponceau qui enjambait un caniveau, avec un beau buis au pied des escaliers, et, plus haut, au niveau de la terrasse, presque de chaque côté de la maison un grand manguier dont le tronc était recouvert de « cornes de cerfs » (une belle plante ornementale) et un pamplemoussier réputé dans le village montait la garde.
Je me souviens que pour le dimanche des Rameaux on se faisait une joie de dépouiller notre buis pour donner des petites branches à un maximum de passants qui se rendaient à l’église pour cette fête religieuse qui précède le dimanche de Pâques.
Je me souviens aussi de ces touristes qui garaient leurs voitures devant la maison pour photographier nos « pluies d’or », une belle touffe d’orchidée qui déployait ses fleurs jaunes sur le mur de roches qui appuyait la rampe des escaliers, et qui n’hésitait pas à demander des pamplemousses qui abondaient sur l’arbre, aussi gros que des ballons de hand-ball.
Et des azalées hautes et touffues comme des arbustes dont les fleurs allaient du violet au rouge vif et au blanc nacré, ce qui donnait tout un charme à la petite cour, et à l’escalier de grosses pierres vermoulues.
Et là, tout en haut, après quelques pas, la case offrait ses quelques pièces : le salon avec son divan et les chambres attenantes, ainsi que la salle à manger faite de terre battue au sol. Et, par une porte, on accédait à une petite cour intérieure et à la cuisine en bois sous tôle d’où s’échappaient aux heures de la préparation des repas des fumées où se mêlaient des odeurs de bois brûlés selon les essences utilisées.
Derrière cette cuisine, le verger se taillait un espace entre les rochers dans le lit d’une petite ravine qui se glissait contre une colline. Aux abords, se dressaient les toilettes ou cabinets, petite construction en bois sous tôle, avec un trou au plancher d’où on pouvait distinguer la fosse.
C’est dans ce petit coin de verdure, parmi les manguiers, les avocatiers, les letchis, les jacques, les bananiers que j’allais à présent vivre avec ma tante et mes oncles sans oublier mes sœurs, mes frères et ma mère.
Au petit matin, on entendait souvent monter le bruit de la meule qui écrasait le maïs ; les bruits que faisait « Fanfan », le cordonnier du village que l’on disait un peu fou, en tapant sur les chaussures à réparer. Sa petite case au toit de paille n’était pas loin de chez nous, de l’autre côté de la ravine. Monsieur Rivière, le ferblantier, un peu plus loin, lui répondait en faisant sonner ses grègues (cafetières), ses sceaux, ses arrosoirs, ses lampes à pétrole.
Et quand la nuit tombait, dans chaque foyer, on allumait les bougies ou les lampes à pétrole…Jusqu’à ce qu’on les souffle pour sombrer dans les draps noirs d’une nuit tropicale enveloppée par les chants des grenouilles et des grillons.