La mort de Tonton Marc

Publié le par Janick Lebon

La mort de Tonton Marc.

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            Marc est le frère de ma mère. Il était très respecté dans la famille et dans toutes ses relations, parce que c’était un homme droit, mesuré dans ses propos. C’était un travailleur de la terre, qui était resté attaché à l’îlet des Chamand dans le cirque de Mafate où son père (Félicien Chamand) avait fait grandir ses enfants. Sa mort nous a beaucoup touchés ; ce sont les meilleurs qui partent d’abord.

            J’étais encore un gamin, mais j’ai enregistré des images de cet événement qui a marqué toute la famille.

            Nous étions un dimanche de la 2e semaine de janvier chez tante Mathilde, notre grande tante en vérité, mais tout le monde l’appelait tante, pour les traditionnels vœux de bonne année. Après avoir apprécié un bon repas, nous étions en train de déguster les gâteaux qu’elle avait faits elle-même, accompagnés de la fameuse liqueur Marie Brizard, quand par la porte du salon où tous les invités se serraient, nous vîmes débouler dans le sentier qui amenait à la maison de ma tante une personne dont l’allure avait capté l’attention de tout le monde et qui nous paraissait être porteuse d’une vraie urgence. France, la sœur de Marc, qui était la marraine de Rudy, ma sœur aînée, et un peu notre 2e mère depuis la mort de papa, que mes sœurs et frères appelaient aussi Marraine, traduisit alors cette intuition que les uns et les autres avaient plus ou moins ressentie : « Ça, c’est pour nous ! », a-t-elle lancé d’une voix ferme qui montrait la certitude quant à ce qu’il allait advenir.

            Effectivement, cette personne nous a appris sans précaution que Tonton Marc a été victime d’un accident à Saint-Gilles les Hauts. Il était en ballade avec des amis dans une Peugeot 203 de couleur noire. Le chauffeur ayant raté un virage à la sortie de ce village, la voiture dévala la pente en faisant plusieurs tonneaux pour terminer sa course dans un champ de canne à sucre au bas de la colline. Mon oncle a été le seul à ne pas pouvoir se relever, les autres s’en sont tirés avec des petites blessures sans conséquence. Il a été hospitalisé à Saint-Paul et est resté plongé dans un coma profond alors qu’il n’avait en apparence qu’une petite blessure superficielle à la tête.

            L’hôpital ne pouvant plus rien pour lui – traumatisme crânien grave – car il était cliniquement mort décida finalement de le renvoyer chez lui. Un après-midi, une ambulance s’arrêta devant la maison, et les ambulanciers sortirent du véhicule un brancard et l’emmenèrent dans la chambre de Marraine France, la meilleure chambre de la maison.

            Je revois encore Tonton bien installé sur le grand lit. Il avait un râle continuel. De la bouche ouverte coulait un liquide blanc que marraine France essuyait régulièrement avec précaution.

            La nouvelle avait fait le tour du village, et les voisins ont témoigné à la famille de leur amitié et de leur solidarité en assurant une présence régulière sur place. Parmi eux, Gilbert Ecormier, qui travaillait à l’Hôpital de Saint-Paul, estimait qu’il ne fallait pas renoncer. Il avait emmené des piqûres (des doses de cortisone ?) et les a données à Marraine France pour qu’elle les lui fasse trois fois par jour.

            Je me souviens même que Tonton à un moment avait bougé un peu sa tête. Il vient de nous dire adieu ! a dit Marraine France en pleurant dans ses mains.

            Un cercueil en sapin a été commandé à Edouart Lauret, un autre voisin, charpentier menuisier ; il est venu prendre les mesures du corps, et le cercueil a été livré dans la matinée même. Selon la tradition, les femmes se sont alors activées à coudre un linceul pour cacher le bois brut et donner un meilleur aspect au cercueil.

            Il a fallu préparer la veillée mortuaire. C’est encore un Gilbert Ecormier tout dévoué qui a monté une petite installation électrique pour mettre de la lumière dans la cour de façon à accueillir plus facilement tous les amis et connaissances qui allaient nous rendre visite et s’incliner devant le corps de Tonton Marc. La famille offrit, toute la nuit, selon la tradition, du café ou d’autres boissons (dont pour certains le petit rhum, bien entendu), question de tenir éveillés ceux qui nous accompagnaient dans notre malheur. Les gens qui évoquaient le souvenir du défunt dans cour parlaient tout doucement pour ne pas déranger les personnes (principalement des femmes) qui priaient dans la salle où était exposé le corps.

            J’ai dû m’endormir et ne pas me réveiller, car je n’ai pas vu la levée du corps le lendemain.

            Que les âmes des fidèles défunts reposent en paix, par la miséricorde de Dieu. Ainsi soit-il.

Publié dans Mon enfance

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