Le petit bal de la marine

Publié le par Janick Lebon

 

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Photo: J'ai eu l'occasion de revenir sur mes pas à Nîmes (Et revoir ce que les Romains ont laissé dans la ville).

Le petit bal de la Marine

 

Tous les samedis soir, il y avait bal au foyer de la marine nationale à Toulon. Mes collègues et moi quittions le bord vers les dix sept heures. Direction notre quartier général, c’est-à-dire le bar où nous laissions nos habits de marin pour nous mettre en civil. La patronne du bar nous attendait dans ce créneau horaire et préparait déjà notre tournée générale. Quand nous arrivions, nous nous embrassions et avant de nous déshabiller, nous attaquions la première tournée.

Nous prenions l’apéritif à chaque bar que nous voyions, et chacun devait payer sa tournée. Comme d’habitude nous allions manger chez le petit Chinois ; les copines nous retrouvaient, et la fête pouvait commencer.

Quand venait l’heure du bal, nous commencions déjà à tanguer et à rouler comme le navire. Quand nous arrivions dans la salle, tout le monde nous regardait comme si nous étions des extra-terrestres. Nous nous installions dans un coin, et bien que peu nombreux, nous ne mettions pas longtemps à mettre de l’ambiance et à danser.

Nous faisions des compétitions avec les filles : Qui va danser avec la plus vilaine de la soirée ? Avec la plus grosse ? Comme je ne me voyais pas faire partie de ceux qui se « foutent » de la gueule des gens, je me contentais tout simplement de danser.

J’ai rencontré une jeune femme ; je l’ai invitée à danser et nous avons blagué pendant toute la danse. Elle avait perdu son mari lors de la disparition du sous-marin La Minerve. Je me souviens encore bien de l’événement : à l’époque j’étais en mer sur le Colbert, et un collègue avait son frère à bord de ce sous-marin. Les chefs nous avaient donné une demi-journée de congé pour le sortir une fois le bateau accosté. Nous étions cinq à l’accompagner dans cette sortie. C’était dur de le distraire, de l’amuser. Nous aussi étions affectés par cette disparition. Le Colbert était en mer quand le message est tombé et nous avions reçu l’ordre de patrouiller dans la zone où le sous-marin avait lancé son dernier message a été donné. Nous l’avons fait pendant trois jours et nous sommes rentrés ensuite au port.

J’ai discuté avec cette dame toute la nuit. J’ai appris qu’elle avait trois enfants et qu’elle avait dû faire face…c’est sans doute pour cela qu’elle couche un peu partout, voire à l’hôtel. La vie était dure sans son mari porté disparu et elle n’a pas de qualification pour trouver un travail. Elle n’a rien dit à ses enfants jusqu’à leur adolescence ; puis elle a tout dit…sauf qu’elle faisait le plus vieux métier du monde. Un jour une de ses filles l’a surprise en train de discuter avec un homme - elle avait trois filles, qui travaillaient bien en classe – et elle fut assaillie de questions. Maman ! il faut arrêter ce manège ; nous allons tous nous mettre à travailler ! Je n’ai plus revu mes filles depuis bien longtemps ; à ce jour, je ne sais pas si je les reverrais, disait alors cette femme.

On a fait un dernier slow ; j’ai glissé un billet dans son corsage, et je lui ai fait un bisou dans le cou et je l’ai quittée. Il était trois heures du matin.

Publié dans Livre

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